En Ouganda n’est pas occidental ce que l’on croit !

En Ouganda, les relations homosexuelles étaient déjà passibles d’une peine de prison à vie avant que le 20 décembre dernier le Parlement ne durcisse le sort des homosexuels en adoptant une loi qui interdit la “promotion” de l’homosexualité et institue la délation des personnes homosexuelles. Le président Yoweri Museveni avait d’abord hésité à promulguer la loi puis a fait volte-face ce lundi 24 février 2014, et ce malgré les tentatives occidentales pour l’en dissuader.

Un durcissement au service d’un conservatisme régénéré

Avec la promulgation de cette loi qui durcit la répression de l’homosexualité, Yoweri Museveni valide l’influence des Églises évangélistes implantées sur le sol ougandais, principal vecteur du message de stigmatisation des communautés homosexuelles, et entend marquer son indépendance du monde occidental, en particulier de son allié américain. Les protestations de Barack Obama n’auront servi à rien, “les étrangers ne peuvent pas nous donner des ordres”, a déclaré le président ougandais avant de proférer des menaces: “Je conseille aux amis occidentaux de ne pas faire de problème. […] Ils ont beaucoup à perdre”. Contre l’universalisme occidental, Y. Museveni se replie derrière l’argument éculé du relativisme culturel: “Imposer des valeurs sociales d’un groupe à notre société, c’est de l’impérialisme social”, un argument ancré dans la fragile théorie d’une campagne de promotion de l’homosexualité par l’Occident.

Dans les temps qui ont suivi l’adoption de cette loi répressive au Parlement, le président ougandais avait pourtant déclaré qu’il ne la promulguerait pas car il était alors “mal de punir une personne parce qu’elle est anormale”. Mais entre-temps, Y. Museveni a consulté des scientifiques qui lui ont assuré que l’homosexualité n’avait rien de génétique, mais qu’elle était bien comportementale, d’où le revirement. Bref la sentence présidentielle aggrave le sort des personnes homosexuelles en Ouganda, et cela n’est pas une surprise quand on observe le puritanisme à l’oeuvre depuis bon nombre d’années sur ce territoire (contre la pornographie, contre les styles vestimentaires outranciers, etc.). Et cette loi était surtout nécessaire pour lutter contre un mal importé par les Blancs, si l’on écoute les représentants des pouvoirs politiques et religieux ougandais. Ce remède législatif va nourrir un peu plus encore un régime de la haine et, à coup sûr, réaffirmer le leadership du chrétien évangéliste Y. Museveni, installé aux commandes de l’Ouganda depuis 1986.

Une loi qui tourne le dos à son Histoire

S’il apparaît stérile de rentrer dans le débat idéologique sur les tenants et aboutissants de l’homosexualité, il semble judicieux de faire un retour en arrière pour mettre les Ougandais face à leur Histoire. Dépassant les frontières ougandaises, beaucoup d’Africains croient à tort que l’homosexualité a été introduite par l’homme blanc avec la colonisation. Eh bien non, cette idée est fausse et ce n’est pas une surprise, les témoignages et récits des colons témoignant du contraire, et ce à travers tout le continent. Ainsi, avant la colonisation africaine, le royaume du Bouganda, un royaume pris dans les frontières de l’actuel Ouganda, est marqué par une économie traditionnelle, une organisation hiérarchique au sommet de laquelle on trouve le roi auquel on doit une absolue obéissance et exalte la réalisation personnelle. Le Bouganda n’a jamais été conquis par les forces coloniales britanniques mais c’est le roi en personne qui a obtenu le statut de Protectorat, considérant cet arrangement comme une alliance entre égaux. Les missionnaires protestants et catholiques commencèrent à arriver entre 1877 et 1879, suivis de prés par les Européens, attirés par la “perle de l’Afrique”, Kampala la capitale du royaume du Bouganda et de l’actuel Ouganda.

En 1884, à 16 ans, Mwenga II monte sur le trône du Bouganda. Malgré une éducation auprès des missionnaires, le jeune souverain a en horreur le christianisme, ne supportant pas que ses sujets puissent obéir aux religieux. Il entame une campagne d’expulsion des missionnaires et force les convertis au christianisme à abandonner leur foi, n’hésitant pas à tuer 22 jeunes garçons accusés de poursuivre le culte catholique, et même un évêque anglais en 1885 ; avant d’instaurer l’islam comme religion officielle du royaume. Mais Mwenga II a d’abord assassiné ces jeunes hommes parce qu’ils avaient été ses amants, des amants convertis au christianisme, qui diffusait déjà à l’époque un message stigmatisant l’homosexualité, comme une pratique dangereuse, un péché. Ces jeunes hommes convertis commencèrent à refuser d’avoir des rapports avec leur roi, pourtant figure suprême à laquelle on doit une totale obéissance en Bouganda. La figure du martyr naît ainsi dans l’ancien Ouganda, et déjà un dirigeant menait une répression contre ses sujets homosexuels mais parce qu’ils refusaient d’avoir des relations avec lui. Par la suite, Mwenga II fut destitué en 1888 puis remis sur le trône en 1889 qu’il occupera jusqu’en 1897, selon le bon vouloir de la puissance britannique et au rythme des guerres de religion.

On se rend compte que pour arrêter sa décision Yoweri Musevini semble avoir incorporé – et bien sûr instrumentalisé – l’homophobie importée par les colons là où il y avait de l’homosexualité, et aux plus hautes sphères du pouvoir. Les diktats occidentaux imposés ne sont donc pas ceux que l’on pense, c’est ce qui arrive quand on tourne le dos à son Histoire. Et contre ça, les mots de Desmond Tutu n’y feront rien, on continuera de “légiférer sur l’amour” dans le sens de l’oppression.

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